UNE JOURNÉE EN MICRO-FORÊT

Une journée en micro-forêt

Le 24 juin dernier, une journée de rencontre sur les micro-forêts a réuni sur le site de Bordeaux Sciences Agro, des intervenants issus du monde scientifique, politique ou des métiers du paysage. Durant une matinée, ils ont échangé sur un large éventail de questions, telles que le fonctionnement des micro-forêts, leur impact environnemental, ou leur viabilité dans nos contextes urbains.

Rémi Salles et Victor Moreaud sont notamment intervenus pour présenter le travail d’A+R Paysages.


3 des travaux de l’agence ont ainsi servi d’exemples pour expliquer le processus de plantation, appuyé sur des principes tirés de l’agroécologie : la micro-forêt plantée sur le site Ampéris à Pessac il y a près de 18 mois, ainsi que celles du parc Bühler et de Cormeil.

Conférences sur les micro-forêts le 24 juin, durant laquelle Rémi Salles et Victor Moreaud sont intervenus pour présenter le travail d'A+R paysages sur les micro-forêts

Rémi Salles et Victor Moreaud le 24 juin dernier à Bordeaux Sciences Agro

Alors, quel(s) enseignement(s) sont à retenir de ces discussions ?

Le premier effort de la journée a porté sur la définition de ce concept :

Qu’est-ce que c’est une micro-forêt ?

 

Un éventail d’expériences différentes se revendiquent du concept initial théorisé par Akira Miyawaki. Confusion grandissante alors, ce jusque dans la lexicalisation : on parle tour à tour de Tiny Forest ou de Big Forest en anglais ; de micro-forêts ou de forêt Miyawaki, de micro-forêt urbaine, voire de forêts urbaines Miyawaki en français.

A l’origine, la démarche entreprise par Miyawaki est celle de la renaturation de terrain forestier de montagne.

Planter de jeunes arbres très près les uns des autres, en diversifiant les espèces, pour retrouver l’équilibre de la forêt avec différentes strates. Engendrer une compétition entre les arbres pour favoriser une pousse accélérée. La méthode de Miyawaki permet ainsi de constituer une forêt primaire en 20 à 30 ans, alors qu’on estime qu’une forêt a besoin de 200 ans pour se reconstituer naturellement en milieu tempéré.

Une des premières questions est donc celle du climat. Alors que les premières micro-forêts sont nées dans un climat humide tropical, les travaux actuels interrogent la capacité de ces forets à s’adapter à notre climat tempéré. Ils interrogent également leur devenir : comment vont-elles évoluer dans des zones urbaines, surfréquentées et polluées ?

Les attendus sont en effet prometteurs : séquestration carbone, fraicheur en plus, notamment grâce à l’ombre portée des arbres, retour de la biodiversité, perspective d’une forêt mature en ville…autant d’avantages contribuant à améliorer nos vies et à renouer avec la nature.

Cycle d'évolution retracant l'évolution d'une micro-forêt sur les 5 premières années, au bout desquelles la hauteur vient dépasser les 5 mètres
Cycle d'évolution de la micro-forêt/ Crédit images : A+R Paysages ©

« Alors que les premières micro-forêts sont nées dans un climat humide tropical, les travaux actuels interrogent la capacité de ces forêts à s’adapter à notre climat tempéré. »

Mise en place du paillage pour la micro-forêt du site Ampéris à Pessac

9 mois de maturation ont été nécessaires avant la plantation de la micro-forêt de Pessac

« La plantation d’une micro-forêt convoque autant des questions environnementales qu’écologiques, économiques que sociologiques. »

Planter une micro-forêt

Plusieurs points ont été tour à tour soulevés par les différents intervenants. La plantation d’une micro-forêt convoque autant des questions environnementales qu’écologiques, économiques que sociologiques.

Sur la plantation, plusieurs questions, telles que l’épaisseur de paillage ou la jeunesse des plants sélectionnés rentrent en jeu.

Le temps de maturation est également un élément capital, parfois mis à mal par le rythme d’une urbanisation désynchronisée du calendrier de croissance de la nature.

La question de l’adaptation de la méthode géographiquement est également posée : quelles essences intégrer dans la composition de la palette, en prenant en compte le patrimoine végétal existant, les conditions microclimatiques, ou l’historique du lieu de plantation ?

En gardant à l’esprit qu’une micro-forêt s’intègre dans un environnement qui lui préexiste. Loin de l’idée d’une zone isolée, elle évolue au milieu d’infrastructures, de liaisons dans un écosystème. Elle constitue le maillon d’un corridor écologique, un lieu de vie dont la réflexion s’inscrit à un niveau plus large, sur la place de la nature en milieu urbain.

Quelle palette ?

Ces réflexions trouvent un prolongement dans la composition de la palette végétale. Quel type d’essences est-ce qu’on plante ? Est-ce qu’on mélange des essences pionnières et primaires ? D’où est-ce qu’on fait venir les essences ? La question de la provenance se révèle épineuse, en particulier lorsqu’elles sont issues de pépinières. Dans la mesure où le volume de plantation est élevé (en comparaison 30 000 plants/ha en micro-forêt pour 1 600/ ha dans une forêt), survient nécessairement la question de la disponibilité.

La provenance locale est privilégiée, appuyée sur des garde-fous comme le label « végétal d’origine locale ». Ou l’ajout potentiel d’espèces exotiques, à l’instar de celles introduites à Bordeaux au XVIIIe siècle, et qui font désormais partie du patrimoine bordelais. Caractérisant aujourd’hui la signature historique de la ville, peut-être permettront-elles également de se questionner sur à partir de quand une espèce n’est plus qualifiée « d’exotique ».

Et quid de la thématique des espèces dîtes « envahissantes », dont le coût d’extermination laisse envisager une alternative : apprendre à vivre avec et laisser la nature s’autoréguler.

Enfin, la disposition des essences sur le site est mise en réflexion : où est placé chaque plant ? comment sont organisées les différentes strates ? Plusieurs choix sont alors étudiés, comme celui de mettre les espèces héliophiles en périphérie.

Quelques-unes des essences utilisées dans la plantation de la micro-forêt pessacaise

Plantations sur trame, calepinage encore balbutiant de jeunes plants

Plantations sur trame en pépinière

« La nécessité d’un cadrage, sur des critères écologiques ou biologiques notamment, et la question du suivi sont 2 composantes essentielles à rapporter au coût brut de la micro-forêt. »

Pour quel(s) coût(s) ?

Également évoqué dans les échanges : le coût d’une micro-forêt. A l’image de la première micro-forêt bordelaise place Billaudel, les montants communiqués donnent une 1ère lecture.

Mais plus que la donnée brute, le coût d’une micro-forêt sous-tend une question : celle des critères d’évaluation. Quel mètre étalon définit-on, quel(s) indicateur(s) détermine(nt) l’efficacité d’une micro-forêt ?

La nécessité d’un cadrage, sur des critères écologiques ou biologiques notamment, et la question du suivi sont 2 composantes essentielles à rapporter au coût brut de la micro-forêt. Celui de plantations, qui comme on l’a souligné plus haut, nécessite de planter densément, donc souvent un grand nombre d’espèces. Celui de l’entretien, avec notamment un amendement ou un arrosage qu’il n’y a pas dans les forêts, pour accompagner la croissance de ces plantations. L’utilisation de l’eau, avec une réduction de l’utilisation des eaux de ville, à travers la récupération des eaux pour alimenter la croissance des micro-forêts. Ou encore le taux de survie des espèces plantées et la reprise sur la durée, qui au-delà du coût, constituent un baromètre de l’état de santé de la micro-forêt. (voir tableau de densité en fin d’article)

En parallèle, ces paramètres sont mis en contexte : avec la perspective à terme de voir émerger une forêt autonome, qui n’a plus besoin d’entretien (irrigation, désherbage, etc.), excepté pour la mise en sécurité ; d’un arbre, qui pendant son temps de vie, joue son rôle dans la chaîne du vivant ; des bénéfices, inquantifiables, en termes d’écologie ou de bien vivre.

La baisse de température potentielle . Les aménités environnementales. Ou le retour d’espèces fruitières pour les oiseaux dans la palette, pour tenter d’enrayer la diminution relevée par la LPO, de 30% de l’avifaune sur le territoire français. (synthèse STOC 1989-2019)

A titre d’exemple, l’entretien de la micro-forêt sur le site d’Ampéris a nécessité, pour l’arrosage et le désherbage, 5 passages la première année et 2 la seconde, dans des conditions climatiques que l’on peut qualifier de « classiques », loin de la canicule que nous avons connue cet été.

A plus large échelle, s’interroger sur le coût d’une micro-forêt c’est également réfléchir sur l’impact de son aménagement : quelle utilisation des déchets liés au chantier et quelle possibilité de réemploi localement ? Sur la micro-forêt de Pessac, cela s’est par exemple traduit par la récupération de déchets verts in-situ comme amendement pour la préparation du sol.

A Pessac, les jeunes plants de la micro-forêt fêtent leur première année

Micro-forêt de Pessac 4 mois après la plantation

« A plus large échelle, s’interroger sur le coût d’une micro-forêt c’est également réfléchir sur l’impact de son aménagement. »

Plantation de la micro-forêt du parc Bühler avec les élèves de l’EPLA de Blanquefort

Vivre avec la micro-forêt

Le dernier point mentionné est lié à notre manière d’appréhender cette micro-forêt et d’apprendre à vivre avec. On peut l’envisager comme le retour de la nature en ville. Comme un milieu fermé, dans lequel il ne semble pas possible de pénétrer, et donc de bénéficier de l’effet d’ombrage intérieur. On peut la voir comme un retour de la biodiversité dans certaines zones qui avaient fini par en être privées. Ou comme un espace confisqué, au détriment de places de stationnement.

Localement, les retours d’expériences en cours affichent des accueils partagés des micro-forêts. Car au-delà des questions techniques évoquées plus haut, la plantation d’une micro-forêt s’inscrit dans une réflexion sur la gestion de l’espace public.

Dans cette optique, est-ce que l’association entre concertation et participation sera la panacée ? Se réunir pour échanger en amont. Associer les habitants lors des plantations, afin d’expliquer le pourquoi de la démarche, répondre à leurs questions. Pour accepter, de pouvoir se projeter, et apprécier des résultats qui s’observent sur plusieurs mois, voire plusieurs années.

LA MICRO-FORÊT DE PESSAC

Sur l’ancien site de Thalès à Pessac, la micro-forêt a été plantée sur une surface de 200m², caractérisée par un sol sableux asséchant, pauvre en matière organique.

Le travail du sol s’est à ce titre révélé déterminant dans la réussite de la micro-forêt.

 

La plantation s’est appuyée ici sur 2 principes tirés de l’agroécologie : l’aération du sol sans mélange des horizons et l’amendement par déchets verts

Aération du sol sans mélange des horizons

Le sol est travaillé sur 30 à 40 cm. La terre n’est pas retournée, comme avec un rotovator, elle est griffée. Un ripper est venu ici préparer la terre.

Amendement par déchets verts

Que ce soit à travers du broyat végétal, de la plaquette de bois tendre, l’amendement par déchets verts vient nourrir la terre en amont de la plantation.

 

A Pessac, c’est un broyat et des feuilles qui ont été utilisés comme amendement. Le broyat, dont sont friands les vers de terre, a été mélangé avec la couche superficielle du sol puis du compost. Un mulch de paille d’une épaisseur de 20cm a ensuite été ajouté. Enfin, 9 mois de maturation se sont écoulés avant la plantation.

Un petit tas de déchets verts, qui va servir d'amendement pour le sol. Ce sont les vers de terre qui vont se régaler.

La plantation

– Date : février 2021
– 3 unités par m²
– 30 essences endogènes parmi lesquelles : (grands arbres : érable champêtre, frêne commun, charme commun, chêne pédonculé ; arbrisseaux : cognassier, cerisier de Sainte-Lucie, cormier, sureau noir ; arbustes : fusain d’Europe, viorne lantane, rosier des chiens, cornouiller sanguin. Liste non exhaustive)

Entretien

5 passages la première année et 2 la seconde, pour l’arrosage et le désherbage, pour des conditions climatiques qualifiées de « classiques »

Évolution

Les premiers résultats ont été visibles dès le premier trimestre. Au premier printemps, la hauteur moyenne des plants était d’1,2 m, avec des émergences à 1,8m.

 

Aujourd’hui, après 16 mois de vie, les émergences de la micro-forêt de Pessac atteignent près de 3m.

Il est intéressant de mettre ces résultats en perspective avec ceux de 2 autres micro-forêts sur lesquelles Rémi Salles et Victor Moreaud ont travaillé. La micro-forêt de Cormeil Figeac et la micro-forêt du parc Bühler, plantée dans le cadre de la 1ère saison de plantation à Bordeaux. Ces projets ont été l’occasion de développer une réflexion sur le travail de sol, pour laquelle différentes approches ont été testées.

Dans les 2 cas, le sol a été travaillé de la même manière, avec une aération sans mélange des horizons. C’est au niveau des amendements que les 3 micro-forêts se distinguent. A Cormeil-Figeac, il n’y a pas eu d’amendement ; A Bühler, du compost a été ajouté, mais sans amendement par déchets verts et sans période de maturation.

En comparaison, la hauteur moyenne de ces 2 micro-forêts se situe autour de 0,7 m au 1er printemps (1,2m pour la micro-forêt de Pessac). Au second printemps, elle est de 1,3m (1,9m à Bühler). Les émergences atteignent 2,5m à Bühler et 2m à Cormeil-Figeac.

L’observation de ces résultats, encourageants, sera pleinement appréciée sur le long terme. De même que les questions qui ont été discutées lors de la journée du 24 juin en appelleront d’autres sur le temps long. Si la multiplication des projets labélisés « micro-forêt » interroge, elle fait surtout partie d’un dialogue sur les approches de renaturation de nos lieux de vie. Et à l’heure de nous demander à quoi ressembleront nos villes demain, l’initiative se révèle déjà un terrain fertile aux idées.

Tableau de densité Cormeil Figeac

Forêt Miyawaki à la plantation
- 3 plants/ m²
- 5 plants/m²

30 000 plants/ha
50 000 plants/ha
Chênaie par semi :
- fourré éclaircie 5-10 ans
- gaulis 10-25 ans
- perchis 25-75 ans
- jeune futaie
- futaie à maturité
100 000 glands/ha
50 000 arbres/ha
10 000
1 000
500
100

Le tableau ci-contre met en évidence le fonctionnement de la micro-forêt, qui reproduit le cycle de régénération naturelle d’une forêt. Avec une chênaie plantée en semis, 100 000 glands aboutissent à une centaine de pieds à maturité. En comparaison, la plantation de la micro-forêt, sur une base de 3 plants/m², vient en une dizaine d’années reproduire ce processus naturel, avec des pertes qui  viennent nourrir la croissance des autres pieds.